Le Product Market Fit : Décryptage
Le product market fit c’est quand un produit rencontre son marché avec le bon message.
Ce concept est la métrique star et l’obsession de toutes les jeunes startups qui cherchent à exister.
On dit souvent que tant qu’il n’y a pas de product market fit, il n’y a rien.
Objectif numéro 1 à atteindre dans une startup et mission qui incombe normalement aux entrepreneurs, ce concept est désormais de plus en plus délégué au product management car les temps ont changé :
- De plus en plus de startups réussissent à lever des fonds pré-product market fit
- Beaucoup d’entreprises adoptent des stratégies d’extension de leur portfolio en lançant de nouveaux services sur des nouveaux marchés.
Résultats, ces entreprises ont les moyens d’embaucher des ressources avant de trouver leur product market fit et donnent à des product owners comme vous la mission de l’atteindre en concevant un produit.
Dans ce post je vous apporte une approche actuelle de comment réussir à atteindre un product market fit si vous travaillez côté produit.
Spoiler alert : Vous n’allez pas toucher au produit car ce challenge n’est pas comme les autres.
La croyance : Créer un MVP et tester le marché
Pour atteindre le product market fit, on lit pas mal de trucs sur internet qui racontent qu’il faut bâtir un MVP le plus vite possible et le tester sur une cible pour obtenir du feedback et itérer rapidement.
La raison est simple :
Sans product market fit, bâtir un produit même minimum engendre un coût temps, ressources et financier inutile.
Que vous mettiez 1 mois, 3 mois ou plus pour bâtir un MVP, il n’y a aucune raison valable de perdre tout ce temps avant d’aller tester un marché.
Certains l’ont fait et on réussi du premier coup (on parle de 1% de chanceux), les autres ont juste perdu du temps mais vous racontent que c’est comme ça qu’ils ont appris et se sont améliorés.
OK…. donc vous avez designé et développé au minimum :
- Une page d’inscription
- 1 page de connexion
- Une feature clé
- Des envois d’emails ou de notifications
Tout ça pour savoir si les gens veulent essayer ou acheter votre produit en sachant que le taux de risque d’échec au premier coup est très élevé.
Au poker, ça s’appelle un blind bet et votre stratégie c’est de miser de l’argent pour découvrir vos cartes et savoir si vous pouvez continuer de jouer.
C’est fun au poker mais niveau business, avouez que l’on peut faire plus smart.
On a une étude de marché béton
En tant que product owner, vous allez vous retrouver bien souvent dans ces 2 cas de figure face à votre management :
- Un boss ou une direction qui vous demande de concevoir un MVP basé sur leur ambition et leur intuition.
- Un boss ou une direction qui vous demande de concevoir un MVP basé sur une étude de marché.
Cas 1 : Ca part mal….
Cas 2 : Ca semble mieux mais ça finit souvent mal aussi.
Je ne vais pas élaborer sur le cas 1 car cela fera l’objet entier d’un article sur le pouvoir d’influence d’un PO sur la stratégie.
Pour le cas 2, une étude de marché est rassurante mais c’est souvent une excuse bullshit pour lancer un MVP.
Je m’explique :
L’étude de marché, c’est un document qui apporte des données quantitatives (des statistiques) et qualitatives (témoignages, interviews) d’un marché.
La majorité des études de marché ont pour objectifs de vous éduquer sur les tendances d’un marché et de vous conforter dans l’idée qu’il y a une / des opportunités basées sur des problèmes que rencontrent un marché où les besoins que le marché exprime.
Je vais vous donner un avis contre-intuitif ici :
Les problèmes utilisateurs.
Dans la phase discovery, on pose souvent la question “C’est quoi votre problème ? à ses utilisateurs.
Cette question est complètement légitime quand on cherche à améliorer un produit qui a déjà trouvé son product-market fit (on optimise, on upsell les fonctionnalités d’un produit sur une cible déjà convaincue).
Dans une phase pré-product market fit, cette question est un signal faible.
Je vous donne un raisonnement par l’absurde.
Vous êtes à la machine à café avec vos collègues et vous entendez l’un d’entre eux se plaindre.
Vous lui demandez “Qu’est ce qui se passe ?”
Il vous répond “Cette machine prend une plombe pour me servir un café”
OK…
“Tu penses qu’il faudrait la remplacer ?
“Oui, il nous faut une machine à café plus rapide”
Derrière vous, 3 autres de vos collègues prennent part à la conversation et vous disent.
“Ah oui, ça serait super et si possible, une qui fait moins de bruit aussi”.
Bravo, vous avez identifié un problème de marché.
La solution : Concevoir des machines à café d’entreprises qui servent du café rapidement !
En extrapolant, vous imaginez même les bénéfices d’une machine à café super rapide :
- Moins de file d’attente à la machine à café… des collaborateurs plus satisfaits et même (soyons fous) plus productifs.
Seulement voilà, ça a l’air d’un problème, c’est même sûrement un problème mais ce n’est pas une opportunité de marché.
- Qui achète les machines à café en entreprise ? les collaborateurs ? Non
- Est-ce que la lenteur des machines à café est un problème majeur de l’entreprise nécessitant de débloquer un budget d’urgence pour changer toutes les machines ?
- Probablement pas
- Probablement pas
- Est que les entreprises qui achètent des machines à café ont identifié la vitesse comme un critère d’achat différenciateur … hmmm…
- Le prix, la longévité des machines, la capacité du réservoir, la consommation d’énergie, le service après vente sont certainement des facteurs tout aussi importants.
Du coup, est-ce que ça vaut le coup de faire un MVP ici pour tester le marché ?
J’ai l’air d’exagérer, mais des startups qui identifient ce genre de problèmes et passent des mois à élaborer des MVPs pour tester le marché…. il y en a.
Le besoin utilisateurs
Le besoin est beaucoup plus tricky car longtemps il fut un signal valide.
Le besoin, c’est une requête exprimée intentionnellement (ou pas) par un marché.
Des décennies de marketing reposent sur l’idée qu’un marché repose sur l’expression des besoins.
C’est vrai ou plutôt c’était vrai avant et ça l’est de moins en moins.
Voici les 2 paradoxes du marché actuel :
PARADOXE 1 : Les consommateurs consomment beaucoup de choses dont ils n’ont pas réellement besoin
- Avez vous vraiment besoin d’un parfum pour sentir bon ??
- A notre époque, tout le monde prend une douche chaque jour… au prix que ça coûte par rapport à du savon, je ne pense pas que les consommateurs achètent du parfum juste par besoin de sentir bon.
- A notre époque, tout le monde prend une douche chaque jour… au prix que ça coûte par rapport à du savon, je ne pense pas que les consommateurs achètent du parfum juste par besoin de sentir bon.
- Avez-vous vraiment besoin du dernier iPhone pour téléphoner, communiquer ou jouer avec des jeux vidéo mobiles ?
Etc…
PARADOXE 2 : Les consommateurs refusent de consommer des produits dont ils auraient vraiment besoin
- Vous détestez votre embonpoint mais vous refusez de manger des aliments sains à faible calories.
- Vous auriez besoin d’utiliser votre vélo pour vous déplacer plus vite en ville, pourtant vous utilisez votre voiture.
Je ne vous apprends rien, mais quand on y réfléchit, ces faits brouillent complètement une logique d’étude de marché qui se repose sur une expression de Besoin = Marché
Petit aparté
Je parle beaucoup d’exemple grand public, mais pour revenir à la réalité d’un PO qui travaille exclusivement dans la sphère du digital, laissez moi vous expliquer pourquoi l’expression d’un besoin en lui-même est encore moins un facteur légitime pour créer une solution.
Il y a 20 ans, quand on voulait créer une startup, il ne fallait pas chercher très loin pour trouver une bonne idée (et un marché).
Basiquement, si vous adaptiez en ligne une activité déjà florissante dans le monde réel, alors vous aviez beaucoup de chances de rencontrer votre marché sur internet.
- Agence de voyage en ligne
- Agence immobilière en ligne
- …
L’opportunité du web à cette époque était de réadapter une offre physique peu ou pas du tout présente sur internet.
A ceci est venu s’ajouter des nouveaux besoins naissants BtoC et BtoB dû à l’écosystème internet ayant des besoins spécifiques.
Seulement voilà…. La facilité de créer un business sur internet de n’importe où, les success story, les capitaux massifs injectés, la ruée vers l’or… ont fait passer un écosystème balbutiant à un écosystème mature et hyper saturé en moins de 20 ans.
A tel point que quand on regarde la crise sanitaire actuelle, on remarque que le monde digital n’a quasiment connu aucune émergence de nouveaux besoins.
A l’entrée du Covid, dans le monde réel, il était difficile de subvenir aux besoins énormes de masques, de gels hydroalcoolique…
Dans le monde digital : Les entreprises n’ont pas vraiment eu de mal à passer au télétravail côté outils : Slack, Zoom and co étaient déjà là pour répondre aux besoins.
Côté particuliers, ne pas pouvoir se déplacer pour faire ses courses n’était pas vraiment un problème avec les sites e-commerce.
Tout ça pour vous dire, que dans notre écosystème, l’offre est beaucoup plus importante que la demande.
Les solutions disponibles sont beaucoup plus nombreuses que le nombre de besoins exprimés (à part de rares exceptions).
Dans un tel marché concurrentiel, l’expression du besoin ne constitue plus une opportunité de marché comme il y a 20 ans.
D’ailleurs quand une personne a une idée de solution que personne ne fait, on lui répond souvent…
« Si personne ne le fait, c’est sûrement qu’il n’y a pas de marché”.
Et on fait quoi alors ?
Ok, on résume :
- Pas de MVP avant d’avoir trouvé un signal.
- La recherche du problème ou l’expression du besoin ne constituent pas de signaux suffisants.
Qu’est ce qu’on fait alors ?? Rien???
Et bien, chers PO, c’est le moment de faire du Product Marketing.
Je laisse la définition de cette pratique aux théoriciens bien pensants qui vous allégeront de quelques milliers d’euros pour vous vendre une formation.
Pour ma part, je vous la fait simple :
Concrètement :
Dans le coin gauche, vous avez les marketeurs avec leur graphiste, leur copywritter, leur spécialiste SEO et SEA, leur chef de projets….
- Ils sont experts (entre autres) dans le lead generation et la constitution de funnel d’acquisition
- Lancement de campagne
- Création de landing page
- etc…
Dans le coin droit, il y a vous, les développeurs et un UX designer.
- Vous êtes expert dans la conception d’une solution produit
- La fabrication et la livraison d’un produit
Dans un monde post-product market fit, vous concevez et délivrez le produit et le marketing se charge de le distribuer à la cible.
Dans un monde pré product market fit, vous concevez des faux produits et le marketing se charge de les distribuer à différentes cibles pour valider et/ou invalider ses hypothèses.
Un faux produit, c’est une coquille vide… plutôt que de concevoir un vrai produit où des prospects peuvent s’inscrire, vous concevez des maquettes hautes résolutions à montrer en démo :
- Pas possible de s’inscrire
- Impossible de tester
- Pas de produit… juste de l’interface animée.
En gros, vous et votre UX designer vous délivrez des éléments produits au Marketing pour consolider le message des landing pages avec différentes versions d’un éventuel produit.
- L’idée est d’amener des cibles sur ces landing pages ou autre support et de valider le CTR de pré-inscription.
- Si une landing avec un message particulier et un produit particulier explose les compteurs niveau conversion, alors, vous avez un signal fort.
Le fameux : “Fake it until you make it”
En unissant vos forces, vous allez apprendre plus vite et l’idée du MVP idéal va germer.
Oui mais et les développeurs dans tout ça ???
Restez bien assis …
Dans une entreprise traditionnelle, les besoins du marketing sont de plus en plus poussés, mais rarement, voire jamais, ces départements disposent de compétences tech pour automatiser leur process ou installer les bons outils.
Ils entament ces efforts souvent trop tard et font appel à des ressources externes pour optimiser leurs efforts de lead generation and co.
Dans cette étape, c’est le moment d’unir vos efforts et de mettre vos compétences en commun pour trouver la bonne cible, le bon message et in fine le bon produit.
Ainsi, pendant que le marketing élabore des stratégies de lead generation et d’acquisition, vos développeurs doivent aider à optimiser leur ingénierie Marketing et leurs outils pour être plus efficace.
Combien de temps ça va durer cette histoire ???
Bon, ben là ça va dépendre… si vous êtes chanceux (et brillants), vous allez vite trouver sinon, ça peut prendre des semaines… voire des mois (mettez une limite).
De toute façon, tant que vous n’avez pas de signal et que personne n’adhère à votre démo, je vous le répète, c’est inutile de concevoir un produit.
Point essentiel : Le Wish Market fit
Pour finir, maintenant que vous avez compris votre rôle de PO dans la recherche d’un Product Market fit, je vous donne un truc qui fonctionne pour moi et qui est peu relayé.
Comme je vous l’ai dit, on n’atteint pas le product market fit en apportant simplement une solution à un problème ou une réponse à un besoin.
Le désir c’est beaucoup plus fort qu’un besoin, qu’un problème et c’est même plus fort qu’un produit.
L’exemple du moment (on est en avril 2021 pour les gens du futur) : ClubHouse
- Est-ce que ClubHouse répond à un problème ?
- Je vous vois au fond qui levez la main… mais cherchez pas, ça résout rien d’urgent
- Est-ce que ClubHouse répond à un besoin ?
- Alors oui, on peut éventuellement répondre à un besoin de nouveauté dans l’écosystème Social Media
- Ou même, à un besoin de s’exprimer etc etc…
- Est ce que ClubHouse est un produit bien réalisé, une tuerie technologique
Euh non…
Le truc, c’est que je ne crois pas qu’on puisse trouver des arguments qui expliquent ce succès actuel en posant ces questions.
Y’a qu’à passer quelques minutes sur Product Hunt pour s’apercevoir que des nouvelles apps social media bien réalisées qui vous permettent de vous exprimer et communiquer, il y en a des tonnes.
Sur sa chaine Youtube, Yann Leonardi explique la mécanique de la Growth de ClubHouse et pourquoi cette app est devenue aussi énorme si vite (Le fameux product Zeitgeist fit).
En tant que PO, ce qui nous intéresse ce n’est pas la mécanisation et tous les leviers pour croître.
Ce qui nous intéresse c’est pourquoi les fondateurs de ClubHouse ont choisi CE Produit, CE Concept, CE Design…. et pas un truc complètement différent.
Ma réponse :
Ils ont identifié le désir de leur cible primaire et ont conçu leur produit dans l’idée de faire croire qu’être un utilisateur de ClubHouse, c’est être quelqu’un d’inspirant qui exprime uniquement des choses intéressantes et fascinantes.
Leur cible de départ, ce sont des gens de la Silicon Valley avec un égo déjà bien dimensionné, qui ont la conviction que les choses qu’ils ont à dire, méritent d’être entendues et diffusées.
Du coup, niveau produit :
- Quelle fonctionnalité permet d’exprimer sa pensée de la manière la plus pure : L’audio
- Quelle plateforme permet de montrer que notre statut social est au top de l’échelle : iOS (gros cliché mais malheureusement vrai).
- Quelle mécanique d’onboarding permet de montrer son exclusivité : La cooptation
- Etc…
Ensuite, ils ont juste appuyé comme des gros bourrins côté Marketing pour diffuser et renforcer le message.
A retenir :
Dans le numérique, beaucoup de problèmes ont été résolus et beaucoup de besoins ont été répondus dans de nombreuses niches.
Mais côté désir [devenir plus riche, plus fort, plus beau, plus influent, plus smart, plus healthy…] il y a encore beaucoup de niches [plombier, banquier, ados, mères de famille…] à satisfaire.
On récap :
Voilà… très long post qui j’espère vous permettra de vous placer dans ce nouveau challenge que rencontre de plus en plus de product owners.
Souvenez vous :
- Trouver le Product Market fit, ce n’est PAS le produit d’abord.
- Du coup, on ne fait pas de MVP sans signal fort
- Collaborer avec le Marketing et aidez les à concevoir une démo à montrer plutôt que de sonder uniquement un marché avec des questionnaires typeform.
- Chercher le désir avoué ou inavoué de la cible et aligner votre stratégie produit sur l’assouvissement de ce désir.
Une fois, la problématique du Product Market Fit résolue… revenez aux bases : Discovery, conception, sprint, User stories, UX, delivery, test, nouvelles itérations etc…
And repeat.
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